La mer et le silence – Peter Cunningham

La mer et le silence – Peter Cunningham
 (The Sea and the Silence, 2008)
Editions Joëlle Losfeld, 2012, 242 pages
Traduction de Francis Kerline


 « Vers dix heures du matin, la puanteur du fleuve à son étiage s’était déjà insinuée dans les bureaux de Mead Street. »


La mer et le silence est un roman qui cache bien son jeu. Il est divisé en deux parties flanquées d’un prologue et d’un épilogue.
La première partie nous raconte la vie de couple d’Iz et Ronnie de 1945 à 1970. Si ce n’était l’ambiance qui rend la lecture très agréable (le couple habite dans un phare et Iz va souvent se promener dans la nature environnante), cette première partie serait assez convenue. Cependant, par petites touches, l’auteur sait introduire des éléments qui vous attache à l’histoire et surtout aux personnages. Peppy, la belle-mère d’Iz, femme peu commune, apportera un fil conducteur secondaire fort intéressant. Dick Coad, le notaire, sera le meilleur allié des femmes dans un pays où elles aussi ont une guerre d’indépendance à mener. Enfin, Hector, le fils, sera un réconfort pour Iz, puis une source de souci quand il s’engagera dans l’armée.

Chaque fois que je lis un roman irlandais et que l’indépendance du pays est un des thèmes abordés, je me réjouis de découvrir un autre angle d’approche du conflit. Non que cela change mon opinion sur la question mais j’en apprends toujours un peu plus sur la complexité du conflit à travers les différents protagonistes. Cette fois, j’ai « découvert » la situation des Anglo-Irlandais.

« … la société anglo-irlandaise vivait en cercle fermé […] nous autres Anglo-Irlandais étions tous unis par la lignée […] et, par-dessus tout, un non-irlandisme radical. C’était le point qui nous définissait par excellence. […] Dans l’ensemble, nous traitions l’indépendance irlandaise par le mépris. L’idée que nous ne gouvernions plus le pays dans lequel nous vivions et que notre prétention à y maintenir nos habitudes était tout au plus tolérée ne semblait avoir effleuré personne. »


Après avoir été partagée quant à mes sentiments pour Iz, j’ai trouvé une sorte d’issue de secours grâce à l’auteur qui nous rappelle que chaque partie est enfermée dans un carcan de préjugés qui peut empêcher les rapprochements. Entre l’Histoire et les sentiments, la première représente un poids qui écrase toute velléité de réconciliation.
Si ce roman est globalement bien moins noir que les œuvres irlandaises imprégnées par l’histoire du pays, il n’en reste pas moins étouffant dès qu’il aborde cet aspect. On a le sentiment que les Irlandais, quels qu’ils soient, sont pris au piège d’un conflit qui a fini par les dépasser, les rancunes s’étant cristallisées au fil des générations.

La seconde partie revient sur l’histoire d’Iz avant son mariage. Là aussi, on pourrait penser que les évènements restent assez communs mais l’histoire prend finalement un tour plus politique et plus intime. En vérité, l’auteur maîtrise extrêmement bien son récit et il finit par nous emporter comme une grande vague vous cueille au bord du rivage pour vous déposer violemment sur le quai bien dur d'un autre port. J’ai été ravie et sonnée à la fois par tout ce que j’ai appris, y compris ce à quoi je m’attendais un peu, et cela jusqu’à l’épilogue dont la portée est loin d’être négligeable.

Ce roman élégant nous parle de tragédies, de vies gâchées par la situation en Irlande, de jalousies, de convoitises. Au milieu de tout cela se tient Iz, une femme dont le destin m'a profondément touchée.


« Elle déposa les tasses à thé dans l’évier et se mit à les laver en sifflotant. »