Quand nous étions orphelins – Kazuo Ishiguro

Quand nous étions orphelins – Kazuo Ishiguro

Quand nous étions orphelins – Kazuo Ishiguro
(When We Were Orphans, 2000)
Folio, 2009, 528 pages
Traduction de François Rosso


« C’était l’été de 1923, l’été où je venais de quitter Cambridge et où, malgré le désir de ma tante que je revinsse habiter le Shropshire, je décidai que mon avenir se trouvait dans la capitale et pris un petit appartement au 14b, Bedford Gardens, dans le quartier de Kensington. »


La marque d’Ishiguro, c’est avant tout un style impeccable et d’une rare élégance qui sait dire l’indicible. Lire cet écrivain, c’est donc entrer en communion avec les personnages, leurs pensées, leur intériorité, avoir le sentiment de retrouver certaines sensations vécues mais sur lesquelles on n’était pas arrivé à mettre des mots. Vouloir parler d’un roman d’Ishiguro, c’est forcément se retrouver dans la position de l’éléphant dans un magasin de porcelaine : une situation inconfortable où nos propros risquent de briser l’harmonie créée par l’auteur.


Christopher Banks a grandi dans la Concession internationale de Shanghai mais les disparitions successives de ses deux parents vont l’obliger à quitter la Chine pour l’Angleterre, « son » pays. Il s’intégrera, au moins en surface, et une fois ses études achevées, il fera montre d’un caractère ambitieux. En effet, Christopher s’est donné pour tâche d’éradiquer le mal et ses succès en tant que détective privé le conforteront dans l’idée qu’un destin prestigieux lui est réservé. Pourtant, Christopher ne peut oublier son passé et, alors que le monde s’achemine vers la guerre, il finit par retourner à Shanghai pour tenter, coûte que coûte, de retrouver ses parents.

« Une de nos poétesses japonaises … a écrit qu’une fois devenus adultes, notre enfance nous devient comme une terre étrangère.
- Ma foi, colonel, elle n’a pas grand-chose d’une terre étrangère pour moi. A maints égards, c’est là que j’ai continué de vivre toute ma vie. C’est seulement maintenant que j’ai commencé mon voyage pour m’en éloigner. »


Christopher est un homme parfois incompréhensible mais si désarmant que l’on ne peut que le suivre où que ses pas nous mènent. En effet, ce retour aux origines paraît insensé. Comment peut-il raisonnablement espérer retrouver ses parents  après tant d’années? Et, de temps à autre, l’on doute de sa raison justement. Tout ce que l’on comprend, c’est combien cette mission est essentielle pour lui et combien il est perdu dans un univers qui bascule pour la seconde fois. Quand il lui semblera reconnaître Akira, son ami d’enfance, ce dernier lui dira dans son anglais un peu bancal : « Quand nous avons nostalgie, nous nous rappelons. Un monde meilleur que celui-ci, celui que nous découvrons en grandissant. Nous nous rappelons, et nous désirons le monde meilleur revient. »

Et c’est tout l’enjeu du roman, cette question de notre appartenance à un univers stable, défini et dans lequel nous avons une place, des repères. Christopher, en cherchant ses parents, voudrait rétablir cet équilibre rompu, au point qu’il s’imagine qu’une fois qu’il les aura retrouvés, la menace d’une guerre mondiale disparaîtra.
C’est à cela que se raccroche désespérément Christopher alors même qu’il approche de la vérité, une vérité déstabilisante qui remettra en perspective toute sa vie et le laissera un peu démuni.

« Peut-être est-il des gens capables de vivre leur vie sans l’entrave de tels tourments. Mais notre destin, à nous et à nos semblables, est d’affronter le monde comme les orphelins que nous sommes, pourchassant au fil de longues années les ombres de parents évanouis. A cela, il n’est d’autre remède qu’essayer de mener nos missions à leur fins, du mieux que nous le pouvons, car aussi longtemps que nous n’y sommes pas parvenus, la quiétude nous est refusée. »


Ishiguro semble nous dire dans ce roman à fleur de peau qu’une part de notre être est irrémédiablement orpheline et donc soumis à un équilibre si précaire que nous préserver est la quête de toute une vie.