Un amant de fortune – Nadine Gordimer

Un amant de fortune – Nadine Gordimer
Un amant de fortune – Nadine Gordimer
(The Pickup, 2001)
Grasset, 2002, 30 pages
Traduction de Georges Lory


L’histoire commence de façon tout à fait banale. La voiture de Julie tombe en panne. Au garage, elle rencontre Abdou qui prend en charge la réparation de sa voiture. Abdou est un émigré, un émigré dont le permis de séjour n’est pas éternel et qui travaille illégalement. D’ailleurs, Abdou ne s’appelle pas Abdou.

Julie est dans son pays ; elle est blanche ; elle est issue d’un milieu bourgeois auquel elle tourne le dos ostensiblement mais n’en reste pas moins une privilégiée ne serait-ce que parce qu'elle n'a pas à cacher son identité et peut dire : « je suis chez moi ; vous ne pouvez pas me chasser impunément ». Et ça change tout.

Julie et Abdou auraient dû se croiser et poursuivre leurs chemins séparément. Mais leurs chemins finissent par se confondre ou du moins se superposer.  Cette femme et cet homme vont écrire une histoire presque malgré eux, une histoire qui n’ose dire son nom.

« Allons dans un autre pays…

Le reste est sous-entendu

Prononce le mot. »


Abdou n’a qu’une idée en tête : émigrer dans un pays riche susceptible de lui offrir un avenir, une vie comme celle à laquelle Julie tourne le dos. Julie, elle, cherche une sorte de rédemption dans le rejet de son milieu d’origine où l’argent règne. Tout semble les séparer et pourtant leurs vies se sont liées, presque malgré eux.

« … l’exubérance de l’enfance est la réponse universelle au fait d’être en vie, somme toute peu différente entre ce qu’il a connu dans ce village et elle-même grimpant sur Gulliver dans un beau jardin… Ce n’est qu’en grandissant, devenus l’homme qu’il est, la femme qu’elle est que les circonstances les ont différenciés. »


Nadine Gordimer, dans un style distancié, fait le pari de la subtilité, de l’économie des mots. Elle fait toucher du doigt plus qu’elle ne dit. Je crois n’avoir jamais lu un livre qui parle aussi bien d’amour sans quasiment utiliser le mot.

«  … elle est le pays où il a émigré. »


L’auteur nous livre également de superbes passages sur le désert qui sera une révélation pour Julie. Le désert et ses mystères. Le désert et ses richesses cachées.

« Le désert est de toujours ; il ne meurt ni ne change, il existe. » 

Mais Abdou / Ibrahim n’est pas fasciné par le désert ; c’est le décor de toute sa vie et c’est ce qu’il fuit. Il n’a aucun espoir dans ce pays qui est pourtant le sien.
Abdou / Ibrahim veut émigrer car, comme tant d’émigrants des pays dits « du Sud », il s’est imaginé une autre vie dans un pays « du Nord », l’endroit de toutes les opportunités.

« … l’émigration est une réussite, mal cernée mais bien sentie. »

Julie, elle, sait ce qui attend les immigrés. Elle voudrait épargner celui qu’elle aime des désillusions et humiliations vers lesquelles il court et puis, elle aussi est en quête même si cette dernière est moins visible, moins revendiquée.


Un amant de fortune est une belle histoire sur fond de disparités entre les pays riches et les pays pauvres, entre des personnes aux fortunes différentes. Le tout est mené de façon brillante.