Pardon si je dérange – Patrick Cottrell

 

Pardon si je dérange – Patrick Cottrell

Pardon si je dérange – Patrick Cottrell 

(Sorry to Disrupt the Peace, 2017) 
Grasset, 2021, 304 pages 
Traduction d’Héloïse Esquié

Helen Moran, une trentenaire vivant à New York, revient chez ses parents à l’annonce du suicide de son frère. Helen et son frère (qui n’est pas son frère biologique) sont d’origine coréenne et ont été adoptés par un couple d’Américains blancs.  

Voilà un roman qui m’a fort déstabilisée et dont je n’ai su que penser pendant la majeure partie de ma lecture. Pourtant, il est assez incroyable et la fin est terrible dans tous les sens que vous donnez au terme.

« Lorsqu’il jouait du Mozart ou du Schubert, la maison se remplissait de culture blanche masculine et européenne. Nous étions censés y vouer un culte, et nous l’avons fait pendant un certain temps, mais une fois que je suis entrée à la fac, j’ai arrêté. Il existe un monde et une histoire de cultures non blanches, leur ai-je un jour écrit dans une lettre rageuse. Et vous nous l’avez caché pendant toute notre enfance ! Ces deux individus blancs ont élevé leurs enfants asiatiques dans l’idée que l’art asiatique était décoratif : tapis et vases orientaux ! Éléphants de jade ! Baguettes en émail ! »

Ce qui est très étrange, ce sont les personnages : aucun n’est réellement sympathique et tous sont franchement spéciaux. Helen se présente comme une outsider, son frère apparaît comme autiste et les parents semblent, au mieux, désagréables (et radins). En tout état de cause, les relations familiales sont pour le moins perturbées (je n’aime pas utiliser le qualificatif « dysfonctionnel » si banalisé mais, pour la peine, on pourrait penser qu’il a été inventé pour les Moran).

 

« On fait ce qu’on a à faire pour s’empêcher de sombrer dans l’abîme […] Comment faisons-nous pour vivre avec nous-mêmes ? »

L’écriture participe à ce sentiment de décalage ; c’est que le lecteur perçoit tout à travers les yeux d’Helen et ce n’est pas une narratrice banale. Ainsi, l’histoire se déroule dans une ambiance assez irréelle : la famille se prépare à l’enterrement mais Helen et ses parents semblent vivre dans deux mondes différents et sont incapables de communiquer. Ajoutons que Helen désigne systématiquement les membres de sa famille par « mon frère adoptif », « ma mère adoptive », « mon père adoptif ».

 

Pour autant, l’auteur nous livre une histoire subtile sur l’art de trouver sa place dans le monde, le deuil, la vie, le racisme, l’adoption, le tout avec un humour noir bien trempé, un regard à la fois tendre et sans pitié. Le titre résume toute l'ambivalence de l'approche. C’est enlevé et grinçant à souhait mais aussi d’une sensibilité à fleur de peau – c’est surtout cet aspect que je retiendrai, avec la lucidité sans merci d’Helen.

Plus qu’un premier roman, ce texte est le signe d’une voix singulière qui mérite d’être découverte.